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Une société également contrastée, mais assez différente des clichés habituels

 


Saint-Paul-lès-Dax. Monstres de l’Apocalypse (xiie siècle)

     Les renseignements que l’on peut extraire du Livre rouge sont trop partiels et trop fragmentaires pour que l’on puisse en tracer un tableau d’ensemble. Toutefois, les quelques traits que l’on peut apercevoir semblent évoquer une société aussi éloignée des visions idylliques du Moyen Âge présentée par une certaine apologétique, que des perspectives uniformément sombres d’une historiographie fortement orientée.
     Loin d’être universellement animée par l’évangile, comme on a voulu le dire, cette société " de chrétienté " était, comme celles de tous les temps – dont le nôtre… – traversée par les égoïsmes, les rivalités et les violences de toutes sortes qui ont été évoquées plus haut. Et si l’église s’est efforcée d’humaniser ce monde de fer et de sang, elle n’y est parvenue que lentement, partiellement, et de manière toujours précaire.

 

Par ailleurs, on sait par bien d’autres sources la vie très dure menée dans les campagnes médiévales, où résidait la presque totalité de la population. La pauvreté des terres insuffisamment amendées, la faiblesse des rendements, la dureté des méthodes de culture qui limitait l’étendue des parcelles affectées à chaque exploitation empêchaient un développement économique qui eût mis les hommes nettement à l’abri de la pénurie.
     Pourtant, l’impression qui se dégage des textes ne correspond pas à l’extrême précarité et à la misère qu’entraîneront plus tard les exactions et les pillages des troupes des grands conflits ultérieurs, la Guerre de Cent Ans en particulier. Si les grands, tant laïques que clercs, se disputent les revenus, c’est en raison de la démesure de leurs ambitions et donc de leurs besoins – constructions défensives ou de prestige, équipement militaire, cavalerie… Pour les plus humbles, les redevances versées à date fixe par les tenanciers sont assez élevées pour témoigner d’une modeste aisance, et l’on sait le nombre de petites donations consenties par eux.

Certaines de ces donations posent d’ailleurs un problème, dans la mesure où elles sont faites par des paysans qui ont eux-mêmes été " donnés " avec leur terre. Ce lien à la terre fait aussitôt surgir l’image traditionnelle du " serf ", placé sous la domination totale de son maître et dépourvu de tout droit propre. Pourtant, si l’on en croit quelques textes du Livre rouge qui montrent un tenancier donné avec « son assentiment et selon sa volonté », ou complétant la donation de lui-même faite par son maître, par une autre, prise sur ses biens propres, la réalité est certainement bien plus complexe : dans ces régions méridionales où la coutume a maintenu son influence à côté de traditions issues du droit romain, les relations de personne à personne n’ont pas pris la même rigidité que dans les pays du nord, et d’autres pratiques se sont développées.
     Cette souplesse se retrouve d’ailleurs dans tous les domaines, comme dans la manière de résoudre les conflits, et même les oppositions entre clercs et laïques, ou dans la difficile restitution des biens d’église détenus par des laïques.

 

 

Des paysans osent se dresser contre la cathédrale
 

«Dame Persuelle de Parriz et son fils Arnaud avaient vendu aux chanoines de Sainte-Marie une terre qui leur appartenait, dans le cours inférieur du petit ruisseau où ont été construits les moulins de Sainte-Marie ; ils avaient reçu pour cela un prix de 12 sous, et ils avaient donné à l’archidiacre Guilhem et aux chanoines de Sainte-Marie des fidéjusseurs pour garantir que ni eux-mêmes ni leur descendance ne revendiqueraient ni ne réclameraient cette terre.

Par la suite, un paysan, Sanche de Faulon, s’est dressé contre cette donation, a mis en cause les chanoines de Sainte-Marie et leur a fait un procès au sujet de ces moulins, parce que l’eau de ces moulins, en montant et en envahissant ses terres, le privait de son verger gorgé d’humidité. L’archidiacre Guilhem-Garsie et les chanoines de Sainte-Marie, pour apaiser ce conflit et parvenir à un accord, lui donnèrent 8 sous.

Après cela, Arnaud de Castet s'éleva contre cette donation, [disant] qu’il avait une barque et une maison rurale en amont de la dite dame, et il mit les chanoines de Sainte-Marie en accusation ; pour éteindre la querelle, il reçut 20 sous.

    Enfin, Masset des Faures, gendre de la dite dame qui avait passé l’accord pour le terrain des moulins, enflammé et agité par l'envie et par une ardeur fielleuse, se mit à quereller comme un dément les chanoines de Sainte-Marie au sujet des moulins, et finalement, voyant d'un mauvais œil les avantages qu'ils en retiraient, il s’empara cruellement des moulins avec une violence injuste et impie et se les attribua. Mais l’archidiacre Guilhem, avec ses confrères les chanoines de Sainte-Marie, porta devant le vicomte le litige, et Masset mit fin à une si injuste usurpation par un accord de paix avec les chanoines de Sainte-Marie, en acceptant d’eux 30 sous, un cheval et une vache qu’il leur avait donnés en gage. »


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