Le Beatus de Saint-Sever

La Bibliothèque nationale de Paris conserve sous la cote Ms. lat. 8878 un précieux manuscrit enluminé que l’on désigne du nom de « Beatus de Saint-Sever ». Il s’agit d’un Commentaire de l’Apocalypse de saint Jean, écrit et illustré au xie siècle dans l’abbaye de Saint-Sever en Gascogne, mais dont le texte a été rédigé en Espagne au viiie siècle, et qui a fait par la suite l’objet de nombreuses copies, dont 26 sont encore conservées ou rappelées par de simples fragments dispersés à travers le monde.

 

Beatus et les Beatus

Le nom de « Beatus » désigne selon les cas un religieux espagnol du viiie siècle, et les manuscrits du Commentaire de l’Apocalypse dont la rédaction lui est habituellement attribuée.

Beaucoup d’incertitudes demeurent sur le personnage, dont  un biographe tardif a situé la mort en 798 : on sait qu’il a vécu dans le monastère asturien de Liébana, dont il semble avoir été l’abbé, mais il est surtout célèbre par le combat qu’il a mené conjointement avec l’évêque d’Osma, Etherius, contre les thèses adoptiannistes d’Elipandus, archevêque de Tolède.

C’est dans cette perspective de défense de l’orthodoxie contre une hérésie très active, que Beatus a rédigé vers 776-786 le Commentaire qui porte aujourd’hui son nom. Il y manifeste une connaissance approfondie de nombreux Pères de l’église, d’Irénée à Isidore de Séville, mais aussi de nombreux auteurs chrétiens - Cyrille, Origène… - ou païens - Quintilien, Virgile… De telles références ne sauraient surprendre dans le milieu culturel qui était parvenu à survivre dans le Royaume des Asturies, ultime héritier de l’Espagne wisigothique, sous le règne de quelques souverains dont le souvenir est rappelé par des édifices aussi remarquables que le palais de Naranco, ou les églises de Lena, Lillo, Santullano, Valdedios…

Le texte du Commentaire


L’ange remet à Jean le Livre des Révélations (Ap. 1, 1, fol. 26 v°).

     Beatus a indiqué en préambule de son ouvrage le but recherché en le rédigeant : « Ce qui est exposé dans ce livre ne l’a pas été par moi, mais par les saints Pères de l’église dans les œuvres dont ils ont été les auteurs, Jérôme, Augustin, Ambroise […]. Ce qui n’a pas été compris à la lecture de leurs ouvrages le sera dans celui-ci, parce qu’il a été écrit dans un langage courant, et bien qu’il s’en écarte sur quelques points, il est écrit dans une foi et une dévotion totales. Il est ainsi une clé pour tous ces ouvrages…  »

     Après une longue préface où sont regroupés des prologues dus à plusieurs auteurs, l’œuvre, qui comporte douze livres, est partagée en 68 sections ou Storiæ d’une douzaine de versets chacune, qui présentent le texte de l’Apocalypse, de 1,1 à 22,21,

dans le texte d’une version latine antérieure à celle dite de la Vulgate, pourtant communément admise à cette époque. Chaque Storia est suivie d’une série de commentaires apportant une interprétation analogique et allégorique de chaque verset, d’après les auteurs cités dans la préface.

Ce Commentaire de l’Apocalypse est suivi dans de nombreux manuscrits par le Commentaire de saint Jérôme sur le Livre de Daniel.

Les manuscrits du Commentaire de Beatus

 


Message à l’église de Sardes (Beatus de Gérone, fol. 89v°).

     On possède aujourd’hui 26 copies - dont certaines très partielles - du Commentaire, qui sont conservées dans 8 pays : Espagne principalement, mais aussi Allemagne, états-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Mexique, Portugal. Ces copies, dont la réalisation s’est échelonnée entre le ixe et le xiiie siècle, présentent des parentés et des différences sur lesquelles Léopold Delisle, Wilhelm Neuss, Henry A. Sanders, Peter Klein se sont appuyés pour établir des filiations et des lignées dans des « arbres généalogiques » souvent assez différents.
     Toutes ces copies présentent des illustrations dont l’origine se trouve certainement dans le premier exemplaire dû à Beatus lui-même ou à une de ses premières copies. Parmi ces illustrations originelles, au nombre de 108, 68 s’appuient sur le texte de l’Apocalypse et se répartissent selon les Storiæ, 7 accompagnent les commentaires, 8 évoquent les évangélistes et leur œuvre, 14 présentent la Généalogie du Christ, 11 accompagnent le Commentaire de saint Jérôme sur Daniel. Certaines copies comportent quelques images additionnelles. L’ensemble est intégré au texte de manière assez identique dans les diverses copies : ainsi, une Mappemonde est souvent insérée à la description de la mission des Apôtres dans le Prologue du Livre II.

 

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